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    La maison des Richards

      

    Je visite la maison des Richards en janvier 2014. Elle est en chantier, divers corps de métier lui apportent le confort moderne. Près de la Dordogne, à mi chemin entre la bastide de Sainte-Foy et le pittoresque village du Fleix, elle est un endroit idéal pour des vacances tranquilles. Elle a été plusieurs fois remodelée dans le passé : ses murs en portent le témoignage. Ils nous donneront des informations sur son histoire.

     

    Consultons d’abord des archives. Ensuite, nous reprendrons notre visite.

     1 – Quelques notes d’histoire.

     « Les Richards » sont le nom d’un lieu-dit situé dans la commune de Saint-Avit-Saint-Nazaire. En 1950, l’Insee mentionne qu’il ne comprend qu’une maison avec 4 habitants[1]. C’est la maison qui figure sur ce plan datant des années 1870 avec son empâtement actuel[2]. Jadis, ce fut un hameau groupant plusieurs habitations autour du puits dont il sera question plus bas.

     Un hameau ne comprenant qu’une maison, voilà qui est étrange. Combien de maisons comprenait-il autrefois, et quand exactement, quand et pour quelles raisons ont-elles disparu ? Il est plus facile de s’interroger sur l’histoire des Richards que de donner des réponses.

      

    Voici les éléments dont nous disposons

      

    Les dernières décennies de la Guerre de Cent Ans ruinèrent notre région. Des années 1400 à juillet 1453, quand la bataille de Castillon met fin à la guerre, des troupes de soldats et des bandes de pillards volent, saccagent, brûlent et tuent. Des épidémies déciment la population. Les survivants s’enfuient, les terres abandonnées retournent en friche, les hameaux sont détruits et Sainte-Foy est en grande partie démolie.

      Le roi de France reprend le duché d’Aquitaine en possession directe et entreprend immédiatement de relever les régions ruinées. Il faut repeupler, rebâtir, défricher les terres abandonnées et les remettre en culture. L’administration royale inventorie les terres abandonnées. Parfois, on ne sait plus qui en fut propriétaire, ou encore, les titres de propriété ont été perdus. Ces terres en déshérence tombent dans le domaine royal. 

      Ensuite, on fait venir des familles de régions extérieures aux zones dévastées. Pour des sommes raisonnables voire modiques, elles louent un hameau et les terres qui en dépendent, ce que l’on appelait alors un tènement. Elles rebâtissent les maisons défrichent les terres et les remettent en culture.

      Ce fut une émigration d’une ampleur extraordinaire en pays foyen. Les familles de migrants donnèrent leur nom aux tènements et ces noms ont subsisté jusqu’à nos jours : les Goulards, les Briands, les Bournets, les Sivadon, etc., et pour ce qui nous intéresse, les Richards.

      Ces familles présentent les mêmes caractères : elles sont composées de plusieurs frères, avec femmes, enfants et parents. Le patrimoine et les revenus sont communs, ce qui contribue à les fixer dans leur hameau d’origine, génération après génération, et ils ont obligation d’entretenir leurs maisons et de cultiver leurs terres. Dans les dernières décennies du 15ème siècle, le pays foyen redevient un terroir agricole dynamique, présentant des paysages de vignes, de terres à blé, de prés dans lesquels pacagent les animaux de trait, avec, autour des maisons, les tets à pourceaux, les enclos à volailles, les jardins et les vergers. On élève aussi des ovins. Bois, taillis et haies épaisses scandent le paysage.

      Après ce renouveau économique, l’agriculture et le commerce permirent à beaucoup d’assumer le quotidien et aussi, firent la richesse de Sainte-Foy et de sa campagne.

      J’ai voulu repérer des membres de la famille Richard au 16ème siècle et au 17ème siècle. J’ai consulté un millier d’actes de notaires foyens, passés entre 1587 et 1622 et je n’en ai trouvé aucun. Dans les années 1620, Jean et Etienne Peyrichard, père et fils, sont cordonniers à Sainte-Foy. Peut-être descendent-ils d’un Pey Richard, c’est-à-dire Pierre Richard. 160 ans environ après l’arrivée des Richard, la famille n’existe plus. C’est un cas exceptionnel en pays foyen : de père en fils, on continua d’habiter la même maison et de travailler les terres qui l’entouraient. Au début du 20ème siècle, un M. Bournet habitait toujours aux Bournets, un M. Cocullet aux Cocullets, un M. Mondain aux Mondain, un M. Sivadon aux Sivadons, et dans les années 1950, un M. Truchasson demeurait aux Truchassons.

      En 1587, Pierre Carrethier dit Petit, cordonnier à Sainte-Foy, passe un contrat de métayage avec Jean Lajonie, habitant au village des Richards[3].

     Revenons à ces années 1620 et 1621. J’ai trouvé 6 familles habitant le hameau des Richards, aucune ne portant ce patronyme. J’ignore si telle famille descendait par les femmes des premiers Richard arrivés. Il y a les Fournier, les Bouny, Lavigne, Tranailhe, Louis Lajonie et Jeanne Lajonie épouse de Jean Rambaud. Ce qui fait un hameau d’au moins 5 ou 6 maisons alors qu’il n’en reste qu’une aujourd’hui. Les autres maisons ont donc disparu entre 1620 et 1870, mais j’ignore à quelle(s) date(s) et pour quelle raison.

      

    Méric Fournier, Elie Bouny, Elie Lavigne et Jeannot Tranaille sont témoins d’actes passés devant notaire. Ce sont de petites gens. Ainsi, Elie Lavigne est qualifié de « travailleur à bras » dans un contrat de 1623, ce qui veut dire qu’il ne possède pas d’attelage et n’a que ses bras pour travailler[4].

      Louis Lajonie appartient à une famille de notables foyens, gros propriétaires terriens. Le 15 juin 1620, il vend à Mathieu Lacoste, bourgeois à Sainte-Foy, une créance de 45 livres qu’il a sur un certain Pierre Foulquié[5]. Lajonie avait prêté de l’argent à Foulquié en 1614 quand celui-ci épousa Jeanne Laville[6]. L’affaire s’était envenimée depuis cette date. Je n’ai pas retrouvé la trace de Foulquié, était-il insolvable ou mort ? La cour locale de justice avait été saisie, Lacoste avait fait des dépenses et exigeait de rentrer dans ses frais.

      Cet épisode illustre le puzzle relationnel de l’époque : les Laville demeuraient à Saint-Nazaire, Louis Lajonie habitait aux Richards ou il possédait des propriétés. Quand à Mathieu Lacoste, il possédait plusieurs métairies dans la paroisse de Saint-Avit Grave Moiron, comme on disait à l’époque, et au début de l’année 1620, il achète de nombreuses terres dans les tènements du Barry et des Grangeaux, situés dans cette même paroisse, à l’est des Richards[7]. Les plus démunis empruntent volontiers aux bourgeois et aux marchands de Sainte-Foy, évidemment devant notaire. Il s’agit parfois d’argent et plus souvent de blé utilisé pour les semailles de printemps. Ce sont des prêts à court terme, parfois remboursés plusieurs années après l’échéance, mais pour que la justice soit saisie, comme dans le cas cité, il faut que le débiteur ait été défaillant, probablement pour cause de mort.

       Voici un exemple de prêt dont le remboursement ne posa aucun problème. Le 19 avril 1621, Jean Rambaud et son épouse, Jeanne Lajonie, qui venaient à peine de s’installer aux Richards, empruntèrent un boisseau de blé estimé à 5 livres à la veuve de Geoffroy Lajonie. Le jeune couple se préparait peut-être à ensemencer une parcelle, et il devait régler les 5 livres à la fête de la Madeleine prochaine, c’est-à-dire le 22 juillet, après les moissons[8]. Ou bien, il s’agissait d’une avance de blé destiné à faire farine, comme on disait, servant à faire le pain.

      On peut poser beaucoup de questions à propos de ces deux épisodes, le renouveau économique de la seconde moitié du 15ème siècle, et le début du 17ème. J’en retiens une : à qui appartenaient les terres et le hameau que la famille Richard loua dans les années 1460-1470 ? Au roi de France ou à un seigneur ? Je l’ignore et il est possible de le savoir en consultant divers documents des Archives départementales de la Gironde et des Archives municipales de Sainte-Foy la Grande. Il serait alors possible de préciser des évolutions qui se produisirent aux Richard comme ailleurs. Par exemple, la gestion du patrimoine qui devint assez rapidement personnelle, et les augmentations de loyer[9], la première intervenant vers 1620 et la seconde vers 1740.

      Enfin, le tènement des Richards illustre bien l’osmose entre la bastide de Sainte-Foy et la campagne environnante. Cette complémentarité repose sur le fait que, pendant des siècles, des bourgeois et des marchands foyen possédèrent des métairies et des domaines dans les paroisses proches. Sainte-Foy et la campagne proche formaient une entité administrative dont chaque quartier était soumis aux mêmes impôts (taille et capitation). Mais Sainte-Foy, comme chaque paroisse, gardait la gestion des affaires communes.

      Cet aspect de l’histoire du pays foyen n’a pas encore été étudié.  Donnons quelques repères. En 1551, les paroisses de Pineuilh et de St-Philippe sont rattachées à Ste-Foy[10]. Le tènement des Richards fut aussi inclus dans cette entité. En 1558, il fut décidé que Sainte-Foy, les paroisses de Pineuilh et de Saint-Philippe et les villages des Richards, des Carretiers et des Papounas paieraient le quart des tailles royales et le reste de la juridiction de Sainte-Foy, les trois quarts[11]. 

      Un texte de 1711 énumère ces quartiers. Viennent d’abord ceux qui composent la ville (Lajonie, Imbert, Bourguet, Leymerie) et ensuite, des tènements dans la campagne proche. Cette seconde liste commence par Les Richards, et comprend  les Carretiers et les Papounas, Pineuil, St-Philippe, Fonsalade, Les Bournets, Les Mangons et la Rayre pour les paroisses.

      Je n’en dis pas plus sur ce sujet. Retenons que les Richards furent un terroir agricole important pour des bourgeois foyens qui furent à la fois producteurs et commerçants.

      

     

    2 – Henri IV est venu aux Richards  Quelques notes d’histoire

      

    Huguette Maury rapporte un fait qu’elle tient de son beau-père, qui le tenait du sien et ainsi de suite : Henri IV est passé un jour aux Richards. « Il n’y a passé qu’une nuit, parce qu’il ne pouvait pas rentrer au Fleix, pour une histoire de maîtresse ».

      

    Cette visite s’est inscrite dans une tradition qui dure depuis plus de quatre siècles. L’histoire nous paraît incroyable et pourtant, on trouve d’autres maintenances de ce type en pays foyen et ailleurs. Vers 1980, une vieille dame de Ponchapt chantait la rencontre entre la jeune paysanne et le gars de la ville. Il lui faisait la cour en français et elle répondait en patois. Je connaissais le texte que j’avais trouvé dans un document des années 1650[12]. Près de quatre siècles plus tard, l’aïeule de Ponchapt en avait eu connaissance par tradition familiale.

     Voici un autre exemple : « Le grand helléniste suédois, Martin Nilsson, raconte que sa grand-mère, illettrée, lui avait montré près de son village, l’endroit « où Wallenstein avait campé avec son armée », deux siècles et demi plus tôt, donc. Elle ignorait qui était cet homme, pourquoi il avait campé, et ne se souciait pas, j’imagine, d’en savoir plus : le fait brut suffisait, c’était une sorte de petit savoir-joyau qui roulait dans ses doigts et qu’il fallait transmettre »[13]. 

      Il en va de même pour le passage d’Henri IV aux Richards. Pour reprendre la formule de Paul Veyne, c’est un savoir-joyau qu’il faut transmettre. Sans le vérifier.

      Quand on vérifie, on constate que le bon roi Henri IV n’est jamais venu à Sainte-Foy ou en pays foyen… en tant que roi de France. Par contre il y a fait plusieurs passages et séjours en tant que roi de Navarre, pour apporter son soutien aux protestants foyens, leur donner des ordres ou rencontrer des chefs du parti catholique pour préparer une paix parmi tant d’autres.

      En août 1577, il séjourne à Sainte-Foy. Venant de Pons, il y revient vers le 20 août[14]. Il repart et, à la fin du mois d’août, il passe une huitaine de jour à Ste-Foy. J’arrête là une énumération qui serait plus longue : le Béarnais est souvent passé à Sainte-Foy et il y a séjourné plus d’une fois.

      

    Retenons que de 1577 à 1588, Henri de Navarre a souvent séjourné à Sainte-Foy. J’avais jadis publié un article sur les dépenses de bouche qu’Henri de Navarre fit à Sainte-Foy pendant le séjour qu’il y fit du mardi 19 juillet au mardi 2 août 1580[15]. En décembre de la même année, il se rend au Fleix où il séjourne : il était venu y signer la Paix du Fleix. A cette occasion, fut achetée une « demye baricque de vin clairet nouveau ». Le roi de Navarre a eu plusieurs fois l’occasion de faire la route entre Sainte-Foy et Le Fleix, et donc, de passer devant le hameau des Richards. En a-t-il profité un jour pour s’arrêter au village des Richards ? L’Histoire ne le dit pas mais la tradition familiale l’affirme. Concluons avec bienveillance que c’est vrai, même si on a embelli l’anecdote en prêtant au roi de France ce qu’a fait le roi de Navarre.

     


     

     

    [1] Nomenclature des écarts et lieux-dits de la Gironde, INSEE, Bordeaux, s. d.

       

    [2] Album des cartes routières du canton de Ste-Foy, documentation privée.

     
    [3] Arch. dép. Gde, 3 E 20 959, f° 4. Ce Pierre Carrethier ne savait pas écrire (Arch. dép. Gde 20 959, f° 126). Il avait épousé Jeanne Lavigne (3 E 20 967, f° 74) dont il eut au moins deux enfants, Catherine et Jean ( id. et 3 E 20 961 f° 141).  Pierre Carrethier mourut avant 1600.
    [4] Arch. dép. Gde, 3 E 20 978, f° 35 v°.
     
    [5] Archives départementales de la Gironde, 3 E 20 978, f° 79.
       

    [6] Arch. dép. Gde, 3 E 35 499, f° 65..

      
    [7] Arch. dép. Gde, 3 E 20 978, f° 7 v° et s. et f° 81. Les Grangeaux figurent sur la carte des années 1870 mais n’est pas mentionné dans la nomenclature des écarts et lieux-dits de la Gironde, publié dans les années 1950. 
      

    [8] Arch. dép. Gde, 3 E 20 979, f° 37. Dans cet acte, Jean Rambaud est dit fils de feu Léonard, sieur de la Garenne, autre lieu-dit de Saint-Avit Grave Moiron.

       

    [9] Le terme employé à l’époque est la « rente », à laquelle s’ajoutaient d’autres « prélèvements fiscaux », pour utiliser l’expression actuelle.

       

    [10] Arch. mun. Ste-Foy, BB 1, f° 78 v° et 79.

      

    [11] Arch. mun. Ste-Foy, BB 1 f° 299 v° et 300, et Arch. mun. Bordeaux, fonds Delpit, ms 214, f° 64.

      
    [12] Arch. mun. Bordeaux, fonds Felpit, ms 214. 
      

    [13] Paul Veyne, le quotidien et l’intéressant, e,ntretiens avec Catherine Darbo-Peschanski, Pluriel, 1995, p. 9.

      

    [14] Arch. mun. Ste-Foy, BB 2, f° 204 et 206 v°.

     
    [15] 
     
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